À la suite de la liquidation de l’entreprise adaptée Manudor à Elbeuf en Seine-Maritime, Esin Gunes qui en était la directrice adjointe, a pris le parti de créer sa propre société. Forte de deux masters en droit des affaires et en droit entrepreneuriat et digital, la jeune elbeuvienne de 24 ans se donne l’objectif de relancer l’entreprise spécialisée dans l’emballage de produits cosmétiques. Déterminée, elle s’engage également à réembaucher les 26 salariés en situation de handicap qui avaient perdu leur emploi.
Dans cette interview, Esin nous partage ses aspirations en tant que cheffe d’entreprise, mais aussi ses engagements en matière d’inclusion et de développement durable.
Une entreprise adaptée
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
E.G. : Je suis Esin Gunes, présidente de la société Allure située à Elbeuf. J’ai repris l’entreprise Manudor qui a été liquidée en janvier 2022. J’étais directrice adjointe. À l’époque, j’avais 22 ans et j’étais encore étudiante en droit. Je n’avais pas pour but de reprendre l’entreprise. Je voulais intégrer une école en droit. Cependant, j’ai toujours été passionnée par tout ce qui touche aux entreprises. C’était un défi de redresser l’entreprise. Quand j’y suis rentrée, elle était déjà en difficulté. L’idée était de la remettre en bonne position et de la transmettre à une association régionale, mais celle-ci s’est désistée. À partir de ce moment-là, j’ai dû rebondir malgré le fait que je voyais cela comme un échec parce que tout le monde y avait donné du sien.
Comment vous êtes-vous lancée dans ce projet ?
E.G. : À 22 ans, j’ai dû annoncer à une vingtaine de personnes en situation de handicap que leur entreprise allait être liquidée. Cela a été très compliqué comme ce sont des personnes isolées qui n’ont pas d’autre activité pour la plupart à côté du travail. C’était la première fois que je vivais quelque chose d’aussi dur. C’était aussi compliqué pour nos clients. Quelques semaines auparavant, on signait des contrats avec de nouveaux clients et de grosses commandes. Les marchandises étaient en route.
À ce moment-là, c’est peut-être l’adrénaline ou la détresse, mais j’ai décidé de créer la structure Allure. Avec le soutien des salariés et des clients, on est reparti de zéro. On a tout construit au fur et à mesure. Encore aujourd’hui, c’est compliqué, mais on a eu le soutien de la Caisse d’Epargne Normandie. Dès que j’ai voulu lancer mon projet, j’en ai parlé à mon conseiller qui a été très positif et qui a su m’apporter son expertise. J’étais jeune et malgré cela, on a bien voulu me faire confiance. On était aussi confronté au temps car on devait rouvrir cette nouvelle structure dans la foulée afin de ne pas mettre en arrêt l’activité au vu des commandes à honorer.
Quelles valeurs animent ce projet ?
E.G. : Allure repose sur des valeurs sociales, écologiques et économiques. Nous avons tout d’abord un impact social, car l’entreprise promeut l’inclusion et la revalorisation du savoir-faire des personnes en situation de handicap. C’est un atelier hybride. Des personnes en situation de handicap travaillent avec des personnes valides. Cela crée une synergie. Nous souhaitons aussi revaloriser le savoir-faire français et surtout normand.
Nous avons également une démarche de préservation de l’environnement. Aujourd’hui, on est spécialisé dans le packaging dans le secteur du luxe, de la parfumerie et de la cosmétique. On assemble aussi des pièces pour l’aéronautique et la plasturgie. Nous réalisons à la main ce que les machines ne peuvent réaliser et on rattrape aussi les défaillances industrielles. C’est de la remise en conformité des packagings défectueux. Cela passe par le tri, l’assemblage… En remettant en conformité, on a un impact écologique très important puisqu’on favorise les circuits courts et on évite des déchets supplémentaires.
Qu’est-ce qu’une entreprise adaptée ? Quels sont les avantages et les inconvénients ?
E.G. : Pour ce qui est du statut d’entreprise adaptée, on est en demande d’agrément. Allure peut prétendre à ce statut. C’est une entreprise ordinaire qui emploie des personnes en situation de handicap. La différence avec une ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail) est que nous employons des personnes avec des handicaps légers.
L’entreprise s’adapte à ses salariés via les postes, les horaires ou encore les tâches. Il y a aussi des avantages en termes de RSE pour les entreprises faisant appel à nous puisque cela leur permet de renforcer leurs engagements. Enfin, c’est aussi la certitude pour nos clients d’avoir un travail de qualité puisque ces personnes en situation de handicap sont extrêmement qualifiées.
Les inconvénients sont forcément la difficulté de rentrer en contact avec les entreprises et de gagner en visibilité. Avoir la confiance de clients est plus dur. Quand on s’adresse à une grande entreprise de luxe et qu’on leur dit que l’on emploie des personnes en situation de handicap, ils sont craintifs. Alors que ce sont des personnes très qualifiées qui ont 30 ans d’expertise pour certains.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Comment avez-vous réussi à les dépasser ?
E.G. : Lorsque j’ai monté cette structure, on est parti avec plusieurs difficultés. Déjà, on est reparti de zéro dans un environnement peu stable lié à la hausse des prix de l’électricité et du gaz. Il fallait regagner la confiance de nos clients et aussi en conquérir de nouveaux. C’était énormément de travail. Aujourd’hui, on a gagné en visibilité. Ce sont les groupes eux-mêmes qui prennent contact avec nous. Le fait d’être jeune a été une difficulté. Si j’ai attendu aussi longtemps pour obtenir l’agrément d’entreprise adaptée, c’est pour montrer à l’état qu’avec ou sans les subventions, Allure est viable et qu’il faut nous faire confiance.
Esin Gunes : « Allure repose sur des valeurs sociales, écologiques et économiques »
Pourquoi vous être tournée vers l’entrepreneuriat ?
E.G. : Honnêtement, ça m’est tombé dessus. J’ai été leader sans le vouloir. J’ai dû manager plus de 30 personnes malgré mon jeune âge. Ça ne m’était jamais venu à l’idée de créer mon entreprise. Je voulais m’orienter vers le métier d’avocat et devenir administrateur judiciaire pour accompagner les entreprises, mais pas en diriger une. Cependant, je ne regrette pas du tout et si c’était à refaire, je le referais. Aujourd’hui, avec du recul, ça a permis de sauvegarder des emplois et de soutenir l’économie du territoire elbeuvien.
Quels sont vos prochains projets ? Comment vous voyez-vous dans le futur ?
E.G : J’ai plusieurs projets qui s’axent toujours dans les valeurs d’Allure. D’un point de vue économique, les objectifs sont de se diversifier et de revaloriser le savoir-faire normand. C’est-à-dire se positionner de façon plus forte sur des circuits courts en travaillant avec un maximum d’entreprises normandes pour à long terme, relancer l’attractivité du territoire elbeuvien qui au fil du temps s’est perdue. Au niveau social, c’est de créer de nouveaux emplois dans les prochaines années et s’axer sur la formation des personnes en situation de handicap.
Quelle est votre définition de l’audace ?
E.G. : C’est savoir saisir les opportunités qui se présentent à nous et se lancer en prenant des risques. À l’époque, je n’avais rien à perdre mais tout à gagner. À 22 ans, je n’avais pas d’économies ou de biens immobiliers. J’étais seule en me lançant. Je me suis répété que je pouvais changer n’importe quel échec en réussite.
Tout comme Esin Gunes, la Caisse d’Epargne Normandie accompagne de nombreux Normands dans leurs projets. Elle propose un éventail de solutions. À tous les moments clés du développement de leur projet, la Caisse d’Epargne Normandie conseille en prenant en compte l’ensemble des paramètres, qu’ils soient personnels ou professionnels.
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